Ecris ce que tu dois
Ecris ce que tu dois

Les trois premiers chapitres

Pour vous donner envie

 

 

Découverte

 

Sur cette route de montagne, secoué dans une voiture d’un autre âge, je me laissais porter vers l’inconnu. Une carte routière pliée en quatre, sur le siège passager, me permettait de suivre la direction choisie. Je me rendais dans un hameau où je devais trouver un vieux mas, tout le monde ici, le connaissait pour être celui du bandit. Dans quel état allais-je le trouver. D’après ma grand-mère, il n’était plus habité depuis une trentaine d’années.

Dans le tiroir de l’armoire de la chambre de Mamie j’avais trouvé un morceau de papier, jauni par le temps, sur lequel une encre délavée donnait une adresse et un lieu-dit, là-haut dans les montagnes cévenoles, en basse Lozère. Sur la carte d’état-major je pus repérer, au-dessus de la route, trois points indiquant les maisons de ce Mas Gibertin. Laquelle des trois correspondait à ma recherche ? Mystère, je ne disposais pas de beaucoup d’indications. Un dessin grossier fait au crayon, trouvé dans le même tiroir, entourant une grosse clé, était mon seul indice. Rien d’autre.

J’avais pour habitude d’aller tous les samedis rendre visite à ma mamie, dans la maison de retraite où elle avait choisi de finir d’écrire les dernières lignes de son histoire. C’était une femme adorable, toujours joyeuse, s’inquiétant de la santé de ses amis ou de simples relations. Ancienne préposée aux guichets de la SNCF elle avait la rigueur du temps et ne supportait pas, de ma part, une arrivée en retard. Le samedi à quatorze heures trente je frappais à sa porte et de sa douce voix elle me disait :

- Entre, mon petit, c’est ouvert.

J’étais l’omnibus de 14 h 30 et j’entrai dans la chambre, délicatement.

Lorsque c’était mon jour, elle demandait à l’aide-soignante de lui mettre une belle tenue. La coiffure bien apprêtée, un maquillage discret pour lui donner bonne mine, elle savait se faire séduisante.

Lors d’une de mes dernières visites elle me remit une grande enveloppe. Elle me donna des précisions, dans le tiroir de gauche de l’armoire de sa chambre, je devais trouver d’autres documents, à l’intérieur d’une boîte en carton, concernant la même affaire : « Le mas du bandit »

- Petit, moi je n’ai jamais osé y retourner. J’avais six ans lorsque j’en suis partie, je n’ai pas beaucoup de souvenirs. J’y suis retournée à plusieurs reprises, pour des vacances. Il y a beaucoup de tristesse dans cette maison, des malheurs, de la violence mais aussi beaucoup d’amour. Je tiens tout cela de ma mère, elle l’avait reçu de sa propre mère. Comme je le fais avec toi au moment de partir, elle me l’a confié avant son dernier souffle… Tu es un homme, tu as de la force et de l’intelligence. Tu es généreux… Alors, voilà, je te confie cette maison, je ne veux plus m’en occuper. Toi tu verras comment en tirer parti. Si elle ne te convient pas alors vends-la, ne reste pas attaché à ces murs s’ils n’ont rien à te dire. Je ne t’en voudrai pas… Dans cette enveloppe je t’ai mis l’acte de donation établi à ton nom, par mon notaire. C’est un papier officiel. Tu peux aller rencontrer cet homme, si tu le souhaites. Il a effectué des recherches généalogiques dont il pourra te communiquer la teneur.

 

Dans le tiroir de l’armoire je trouvai un cahier un peu épais. Une histoire de famille, celle de sa grand-mère, une certaine Lisette, et d’autres ancêtres dont je ne connaissais pas l’existence. Je compris, alors, que beaucoup de silences, de non-dits, de mystères, meublaient ce vieux mas vers lequel elle me proposait de me rendre. Me demandait-elle d’aller déterrer les vieux mystères ? J’en eus le sentiment diffus. J’allais là-haut pour faire le ménage, mais ça, je l’ignorais.

- Avant de partir, j’aimerais pouvoir connaître la vérité, savoir pourquoi, dans le village et même dans la région, on appelait Léonce : « le bandit ». En tout cas je sais une chose, il a été amoureux de ma grand-mère Lisette et ma mère, Jeanne, est leur enfant. Mais, je n’en sais pas plus. Là-haut, tu trouveras peut-être des papiers ou des gens qui connaissent l’histoire. Je te donne ces documents, j’espère qu’ils te seront utiles.

 

Ainsi, au volant de la vieille voiture de ma grand-mère je me rendais dans ces montagnes. Elle n’avait pas souhaité que je parte avec ma belle auto, comme elle disait. Sa vieille Citroën ferait bien l’affaire pour arpenter ces routes sinueuses et dangereuses. Après quatre-vingts ans elle conduisait encore, mais à quatre-vingt-dix elle avait remisé son fiacre au garage. Pour dire cela, elle s’exprimait toujours avec son humour joyeux. De temps en temps elle me demandait d’aller lui faire faire le tour du quartier. Elle ne voulait pas voir sa chère petite Visa rouiller, alors je me mettais au volant, je promenais ma grand-mère et je faisais prendre l’air à son antique automobile. Certes, cette auto n’avait pas beaucoup de kilomètres au compteur et n’avait pas été fatiguée par la conduite paisible de Mamie, mais elle était d’un autre âge et ne me redonnait pas la confiance que je pouvais avoir dans ma propre voiture. Selon elle, sa vieille Citroën était mieux adaptée à l’état précaire des routes. Il n’en était rien. Des virages, oui, mais un revêtement bien entretenu tout comme les bas-côtés.

Dans l’enveloppe trouvée chez elle le dessin montrait une maison surplombant la route avec une treille en bois de châtaignier portant une vigne et à gauche un double garage. À droite un escalier donnant accès à la terrasse du premier niveau au-dessus des caves ou de la bergerie, semble-t-il. Il y avait une forme de symétrie, trois fenêtres, même chose au premier et unique étage. La maison voisine avait été une école par le passé, au bord de la route un bassin en forme de lavoir. D’autres maisons, en dessous de la route, laissaient supposer une certaine activité dans le passé de ce hameau. Restaient quelques ruines et des résidences secondaires.

Je stoppai la voiture sur ce qui devait être un espace prévu à cet effet et muni de la clé je suis monté.

La porte était fermée, mais le sésame dont je disposais n’eut aucun mal à me permettre d’entrer dans ce qui devait être le « Mas du Bandit ». Le capharnaüm découvert, malgré l’obscurité, indiquait bien que depuis longtemps personne n’était venu dans ce qui semblait être une pièce de séjour. Symboliquement j’eus le sentiment que mon histoire de famille risquait de ne pas être très reluisante. La pagaille, en somme, je verrai bien.

Je cherchais de la lumière lorsqu’un homme entra en me menaçant d’un fusil.

- Sortez d’ici, vous n’avez rien à faire dans cette maison.

- Bonjour Monsieur, je m’appelle Antoine Lanier… Je suis désolé, Monsieur, mais je dispose ici de papiers officiels indiquant le sens de ma présence, je suis bien chez moi.

Je sortis l’acte de propriété dont je disposais et le lui montrai, sans, toutefois, le lui laisser prendre entre ses mains.

- Qui vous a donné ça ?

- Le notaire de ma grand-mère, Maître Germain, rue de la Merci, à Montpellier. Vous voyez, il y a sa signature et son cachet au bas de cette page et dans l’en-tête il a son nom, également. Ma mamie tenait cette propriété de sa propre mère, laquelle la tenait de la sienne. Je crois qu’il faut remonter cinq ou six générations en arrière pour attester de la présence de notre famille en ces lieux. Le notaire m’a donné beaucoup de renseignements, un de nos aïeux en est devenu propriétaire au milieu du XIXe siècle. C’était un certain Adrien Flory, il était charpentier, semble-t-il, et faisait valoir une propriété d’une vingtaine d’hectares de châtaigniers. Il disposait de terres à céréales et d’un moulin pour moudre son grain. Celui-ci est cadastré sur une parcelle en bordure d’un ruisseau. Je crois que je vais avoir du travail à répertorier les restes des biens de notre famille… Mais qui êtes-vous pour me menacer ainsi ?

- Je suis Jean Finiels. Je vous prie de bien vouloir m’excuser.

L’homme avait baissé son arme et, après l’avoir cassée, il en retira les deux cartouches dont elle était munie. Il semblait plus courtois, quoiqu’encore méfiant. Petit, un peu rond du ventre, vêtu d’un pantalon de coutil noir, d’une chemise à carreaux, aux manches retroussées, recouverte d’un gilet jaune un peu délavé, il ne laissait pas transparaître un âge quelconque. Tout au plus la soixantaine, ai-je pensé.

- J’habite la première maison sur la droite en entrant dans le village. Venez boire l’apéritif, vers dix-huit heures, si vous voulez bien. Nous parlerons de tout ça. Je vais demander à Monsieur le maire de venir. Je n’ai rien contre vous, mais vous comprenez, cette maison est inoccupée depuis une quinzaine d’années. À cette époque il y a eu des Hippies qui ont mis la pagaille. Nous avons eu beaucoup de mal à les déloger. Ils n’étaient pas chez eux et votre grand-mère n’a pas voulu se déranger… Mais, venez prendre l’apéritif, nous parlerons.

Il se retira en me saluant, un doigt posé sur la visière de sa casquette. Il avait mis son fusil à l’épaule. Avant de sortir il me précisa que l’EDF avait coupé l’électricité depuis le départ des Hippies. Dans un tiroir de ce qui semblait être un buffet je trouvai un paquet de bougies et une boîte d’allumettes. Une bouteille vide trouvée sur la table de la salle à manger me servit de bougeoir. Ainsi muni, je m’enhardis à faire le tour du propriétaire puisque tel était mon état, depuis l’ouverture de l’enveloppe, donnée par ma mamie, comprenant l’acte notarié de Maître Pierre Germain, notaire à Montpellier.

J’ouvris les volets de la pièce à vivre dans laquelle je me trouvais, ils n’avaient pas l’air en trop mauvais état. Il faudra que je passe un peu de peinture sur ces boiseries, si je veux rester ici. Je n’avais pas pris de décision concernant l’utilité possible de cette maison.

Cette grande pièce servait de cuisine, dans un coin un fourneau en fonte, antique et un peu rouillé jouxtait un plan de travail recouvert de carreaux de faïence et d’un évier. Rien de très moderne, du fonctionnel, tout au plus. J’actionnais le robinet, l’eau coula, un peu terreuse. Bon, il me faudra revoir tout ça. Je demanderai à mon voisin si l’approvisionnement vient d’une source ou si c’est de l’eau de la ville.

Dans le fond de ce séjour cuisine, une imposante cheminée prenait toute la largeur de la pièce, un foyer légèrement surélevé, à gauche une porte, contre le mur une sorte de niche, je sus plus tard que cela s’appelait un potager. Des braises prises dans le feu et posées dans un trou muni d’une grille en fonte, servaient à mijoter une daube, une soupe ou une potée quelconque. Je me promis de faire une tentative. Curieux de nature j’ouvris cette porte un peu basse et me trouvai dans un réduit où restaient encore un tas de bois et un coffre assez plat, il contenait des restes de gros sel, j’en déduisis qu’il devait servir de saloir pour de la charcuterie. De retour dans la pièce principale j’avisais une autre porte, elle donnait dans un couloir avec à droite un cabinet de toilette un peu simple, lavabo, douche, W.-C et un placard. À gauche, une chambre et au fond une autre chambre. Le bazar était innommable. Il me faudra mettre toute cette pagaille à la benne à ordure. L’odeur de moisissure me prit à la gorge, j’ouvris la fenêtre et les volets pour faire une bonne aération. Il n’était pas question que je dorme dans ce taudis. Après l’apéritif chez le voisin j’irai à la recherche d’une chambre d’hôte ou d’une auberge. S’il le fallait je redescendrai à Saint Jean.

Je continuai à faire le tour du propriétaire. Au-dessus de la maison, une châtaigneraie, des genêts entouraient un espace, vraisemblablement le pâturage pour des animaux, l’herbe était rase. Dans un coin un reste de clôture me fit penser à un parc pour des moutons. Sur l’arrière de la maison une porte donnait accès à un grenier envahi de beaucoup de choses. Des morceaux de charrette, des fauteuils cassés, là aussi une belle pagaille indescriptible, dans le fond je remarquai une cloison en planches de châtaignier, une porte an son milieu, je l’ouvris, un réduit avec un lit, une armoire, un coffre, une table et une chaise. Bizarre. Peut-être la chambre d’un journalier, en tout cas c’était sale.

Je ne me suis pas attardé, cela sentait le moisi et la poussière. « Il me faudra nettoyer tout ça », ai-je pensé. Pourquoi ma mamie m’avait-elle chargé de prendre cette succession. Qu’avais-je à voir avec tout ce foutoir ?

 

Je suis artisan. J’achète de vieilles maisons, je les retape et ensuite je les revends. Je vis à mon rythme et cela me convient parfaitement. Mon activité professionnelle a-t-elle incité ma grand-mère à se débarrasser de ce fardeau ? Je suis la sixième génération à pénétrer dans ces murs. Selon les données fournies par le notaire, je me rendis compte que depuis « le bandit » il n’y avait eu dans cette maison uniquement des femmes, je dois être celui qui vient remettre de l’ordre dans cette lignée féminine particulière. Pourquoi Adrien Flory avait-il acheté cette maison, qu’était-il venu faire dans ce coin retiré ? Quels étaient les secrets enfouis dans ces vieux murs ? Il me faudra certainement aller fouiner dans les registres de la mairie, de l’église ou du temple. Les religieux notaient beaucoup de choses par le passé.

Installé sur un banc sous la treille de la terrasse devant la pièce à vivre, je feuilletai tous les papiers dont je disposais. Il me restait beaucoup de flous dans mes connaissances. Mais bon, j’avais le temps. J’avais fini de retaper une maison sur le Causse de Blandas, dans le village de Rogues, et je l’avais bien vendue. Je disposais d’un bon pécule, cela me permettrait de vivre confortablement pendant un bon bout de temps, peut-être une année, en étant économe. Mon matériel était remisé dans le garage de ma grand-mère. J’occupais sa villa de Palavas les Flots depuis son entrée en maison de retraite. Quand je commençais un chantier je m’installais dans une caravane sur place, plus pratique et moins de fatigue en déplacements. J’avais, en quelque sorte, une vie de nomade et cela me convenait parfaitement.

 

Dans la région de Monoblet, j’avais des vues sur une maison, mais comme la succession n’était pas facile entre les héritiers, le notaire m’avait demandé de patienter. Il m’avait procuré plusieurs affaires et était devenu un ami. Nous nous connaissions depuis une bonne dizaine d’années. C’est lui qui m’avait donné l’idée de mon activité. Il m’avait demandé de rénover une petite maison qu’il avait achetée prêt de Lasalle. Très satisfait du travail, il m’avait proposé d’acheter une ruine pour un prix dérisoire. Une fois les travaux terminés il m’avait trouvé un acquéreur pour une somme rondelette. Ainsi naquit mon entreprise de rénovation. Certaines agences immobilières sont aussi devenues mes partenaires. Le grand avantage, pour moi, c’est que je peux travailler à mon rythme et, quand je veux, je prends des vacances, ce qui me permet de voyager.

 

À dix-huit heures je frappai à la porte de mon voisin de l’entrée du village.

 

Idelette et Jean

 

Madame Finiels m’ouvrit la porte.

- Bonjour, Monsieur, je suis Idelette, votre voisine, mon mari m’a parlé de vous. Entrez donc, soyez le bienvenu dans notre village.

Elle était souriante, avenante, m’indiqua le centre de la pièce où deux hommes discutaient.

Le maître des lieux s’avança en me présentant l’autre personne.

- J’ai demandé à Monsieur Cabrol, notre maire de se joindre à nous.

- Vous avez bien fait, je vais pouvoir lui poser des questions concernant cette mystérieuse maison… Bonjour, Monsieur le maire, je suis Antoine Lanier, le petit-fils d’Eugénie Saillens et le nouveau propriétaire de ce « Mas du Bandit », je crois savoir que tout le monde l’appelle ainsi, dans la région !

- Oui, c’est exact. Mais vous savez, il y a beaucoup de légendes autour de ce personnage. Il s’appelait Léonce Flory, mais nombreux sont ceux qui l’appelaient « Lafleur Le Bandit » ou aussi « Le Bandit Lafleur ». C’est une forme de jeu de mots à partir de Flory. Il se dit aussi qu’il avait toujours une fleur à la boutonnière ou à l’oreille, coincée sous sa casquette.

 

Nous nous installâmes dans les fauteuils proposés par la maîtresse de maison. Elle venait avec un plateau, portant des verres, des assiettes garnies de mignardises et des bouteilles d’alcool.

J’optais pour un pastis dans un grand verre avec beaucoup d’eau, j’avais soif.

Le maire me demanda ce que je faisais dans la vie, où j’habitais. Je lui donnai toutes les informations nécessaires concernant mon activité de rénovateur de masures cévenoles.

- Vous comptez travailler ici ?

- Je ne sais pas. Pour l’instant, je suis en vacances. J’attends un chantier dans la région de Monoblet, mais cela semble prendre du retard, une question de papiers difficiles à obtenir. Je ne suis pas pressé. Pour l’instant je voudrais découvrir un peu l’histoire cachée derrière ce mas dont ma grand-mère vient de me faire cadeau en héritage… Je suis donc celui qui va devoir vous payer les impôts, dis-je en souriant.

Monsieur Cabrol éclata de rire. L’atmosphère était détendue.

- Rassurez-vous, nous faisons tout notre possible pour qu’ils soient les moins élevés possible, mais la gestion d’une petite commune de montagne n’est pas chose simple…

- Je m’en doute, mais rassurez-vous je n’ai pas l’intention de m’occuper des affaires du village. Je vous laisse faire. La politique ce n’est pas mon truc. Je vote lorsqu’il y a une élection, c’est mon devoir de citoyen, mais c’est tout.

- Alors, il vous faudra penser à vous inscrire sur les registres électoraux… Je vous conseille d’aller rendre visite à notre ancien secrétaire de mairie, Elie Guibal. Il a fait beaucoup de recherches et collectionne les vieux grimoires. Il aura certainement des informations fiables, bien différentes des légendes ou rumeurs, concernant ce fameux « Mas du Bandit ». Mais faites attention, il y a des secrets autour de votre famille et certains, ici et dans les villages alentour, n’aimeraient pas les voir remonter à la surface. Selon certaines personnes un des fils de la Borie Blanque n’est jamais redescendu de la montagne. On attribue à votre ancêtre une histoire de dissimulation de meurtre. Mais personne n’a pu fournir la moindre preuve et le corps n’a jamais été retrouvé.

- Depuis quand date cette histoire ? Demandais-je un peu intrigué.

- Pour la plupart ce serait pendant la première guerre mondiale, d’autres rétorquent et penchent pour peu de temps avant le front populaire ou même à la période de la résistance. Pour ma part, ayant vécu à cette époque de la guerre, je ne me souviens pas d’une disparition non élucidée. Mon père vous dirait la même chose, s’il était encore en vie. Il a été maire avant moi. Votre aïeul fut très actif, quoique discret, pendant cette période troublée. Il n’a jamais fait état de ses idées politiques. Était-il communiste, comme beaucoup de résistants dans les Cévennes ? Pour ma part je ne le pense pas. C’était un homme très pieux, un des piliers du temple, il remplaçait souvent le pasteur en tant que prédicateur laïque. Il était connu et respecté pour cela. Ma petite sœur est morte de maladie étant enfant et à cette période, difficile et douloureuse de la guerre, aucun pasteur n’avait pu se déplacer, alors ma famille lui a demandé de conduire la cérémonie d’enterrement, il a su trouver les mots pour apaiser mes parents. Ma maman lui en a toujours été reconnaissante. Léonce a été un homme généreux et serviable. Il ne rechignait jamais à donner un coup de main aux uns et aux autres. Sa femme Lisette fut institutrice dans l’école de ce hameau, à sa retraite elle éleva quelques chèvres et quelques moutons. C’était une travailleuse, elle fabriquait de succulents fromages du lait de ses biquettes. Les gens venaient de loin s’approvisionner. Elle n’avait pas besoin de descendre à Saint Jean ou à Florac tenir un stand lors des marchés ou des foires. La vente à domicile lui suffisait.

Son mari était un artiste vannier. Il confectionnait des paniers ou des corbeilles à linge en lamelles de châtaignier. Il avait le don de l’enseignement et a formé pratiquement tous ceux qui dans nos vallées ont continué cet art particulier. Mon fils a profité de ses conseils et je dois dire qu’il se débrouille bien. C’est un bon complément à son travail d’agriculteur. Les soirées d’hiver sont bien remplies et il ne lésine pas au labeur. Léonce lui a aussi donné de bonnes bases pour travailler l’osier et il s’est spécialisé dans la fabrication de berceaux pour enfants. Il travaille uniquement sur commande, mais comme il a neuf mois pour préparer le petit lit, il prend son temps. Sa femme se charge des parures, c’est une bonne couturière. Mais il n’y a plus beaucoup de naissances dans nos villages. Vous savez, ici, il faut savoir faire plusieurs métiers… Je voudrais vous mettre en garde, votre activité pourrait éveiller des jalousies. Nous avons plusieurs artisans et ils n’aiment pas trop que quelqu’un vienne piétiner leurs plates-bandes. Si vous remettez en état votre maison, personne ne vous en fera le reproche, mais que vous preniez un chantier ailleurs, il peut y avoir des grincements de dents. Soyez diplomate.

Je le questionnai sur ces hippies dont m’avait parlé Jean lorsqu’il était venu m’accueillir avec son fusil.

- Ah ! oui. Les gens du village les appelaient ainsi, parce que c’étaient des marginaux. Lui fabriquait des métiers à tisser et aussi des menuiseries à la demande pour retaper des maisons, elle entretenait des ruches et tissait. Un autre couple faisait de la plomberie, un autre de la maçonnerie. Ils vivaient à leur façon, les enfants étaient scolarisés régulièrement. Mais, comme ils étaient un peu hors normes les gens ne les aimaient pas beaucoup. Pourtant ils cherchaient à dynamiser le pays, avec d’autres jeunes couples de la région ils avaient mis sur pied une association d’artisans d’art. C’est une femme du village qui tenait leur boutique. Ils ont aidé d’autres marginaux à venir s’installer ici, certains sont encore actifs. Vous savez, si vous ne vivez pas comme les autres on vous donne et vous prête des qualificatifs pas toujours respectueux. Pour les gens du village c’étaient des Hippies, pour moi ils faisaient partie du village, comme tout le monde. La discrimination n’a jamais été une bonne chose. Nous devons apprendre à vivre ensemble même avec nos différences, celles-ci sont la richesse de nos communautés.

Il continua à me parler de sa commune, de ses administrés, d’autres jeunes qui étaient venus s’implanter dans la commune. Nous sortîmes ensemble de chez mon voisin. Dans la rue, au moment où il s’installait dans sa voiture il me dit simplement :

- Si vous décidez de vivre dans cette maison venez me voir, nous parlerons tranquillement de votre installation.

- Je n’y manquerai pas… Une question encore, si vous permettez ?

- Oui.

- Vous avez une auberge ou des chambres d’hôte dans votre commune ?

- Oui, l’Hôtel des Cévennes, à l’entrée du village. La patronne fait de la très bonne cuisine, à l’ancienne. Je vous conseille sa blanquette de veau, une merveille. Tout le monde l’appelle Mado… à bientôt et bonne installation… Vous aurez du travail pour remettre tout ça en forme, c’est en piteux état.

- Je m’en suis rendu compte. Merci pour tous vos conseils, Monsieur Cabrol.

- Je me prénomme André, mais ici tout le monde m’appelle Dédé alors vous pouvez faire pareil. Il n’y a que le préfet qui me dit Monsieur Cabrol.

- D’accord, mais moi c’est Antoine, mes copains d’école disaient Tonio, cela me donnait une certaine image de conquistador espagnol ou de mafieux Sicilien, c’est selon.

- Entendu, Antoine. Viens me voir quand tu veux.

 

Cet homme avenant, me semblait sympathique et ouvert. Grand, mince, charpenté comme un bûcheron, il imposait le respect. J’appris, en le côtoyant souvent qu’il en était effectivement digne. Cet élu s’impliquait totalement pour ses administrés. Il ne lâchait personne.

 

 

 

 

Mado

 

Je me suis rendu au village pour prendre une chambre à l’hôtel. Je fus reçu par la patronne, une femme usée par le travail. Elle portait à bras-le-corps la tenue de son établissement. J’étais le seul client, me dit-elle. Elle me donna la meilleure de ses chambres avec vue sur la cour. La route était trop bruyante, elle voulait me dorloter.

- Je vous installe dans la chambre nuptiale, vous êtes seul mais on ne sait jamais… dit-elle avec un sourire en coin… Pour ce soir, si vous voulez prendre votre repas chez moi, je vous propose une soupe de légumes de mon jardin, du jambon de pays de notre charcutier, un virtuose de la cochonnaille, un voisin, et des fromages de chèvres, des pélardons, ils viennent de chez le fils du maire. Si vous avez encore de la place, un morceau de tartes aux fraises, les premières de chez moi, je l’ai faite ce matin… Il ne fait pas froid, nous sommes en juin, est-ce que je vous installe sur la terrasse ou préférez-vous la salle ?

J’optai pour l’intérieur. À l’extérieur le bruit des voitures ne me semblait pas adéquat. Bien que dans ce village nous n’étions pas sur le périphérique.

Je suis monté m’installer dans ma chambre et prendre une bonne douche. J’avais besoin de me débarrasser des odeurs de moisissures et de la poussière de ma maison. Je me suis changé avec des vêtements propres. Comme un sou neuf, je suis descendu à la salle à manger.

- Qu’est-ce que je vous offre comme apéritif ?

- Je vous remercie, mais je viens de le boire chez mon voisin et je ne voudrais pas risquer de dire des bêtises.

Je lui expliquai d’où je venais.

- Je viens de prendre possession du mas que m’a légué ma grand-mère, au mas Gibertin.

- Le Mas du Bandit ?

- Oui, c’est cela, mais j’ignore si je vais garder cette maison.

- Eh bien ! vous n’avez pas fini d’en voir. Certains disent que c’est une maison hantée. Moi je ne crois pas à ces sornettes, mais il y en a qui se laissent prendre à ces idées saugrenues… Je vous sers votre soupe.

Elle me porta un pichet de vin, me laissant le choix d’en boire ou de ne pas en boire.

- C’est du vin que je fais venir d’un petit producteur ardéchois, une merveille, vous m’en direz des nouvelles.

Elle revint avec une superbe soupière ancienne, avec couvercle. D’une louche généreuse elle versa le potage dans l’assiette profonde. Le fumet était envoûtant.

- C’est une soupe d’orties, c’est bon pour la santé. Me précisa-t-elle, en souriant. Vous pouvez rajouter quelques croûtons, je viens de les faire, ils sont frottés à l’ail. Elle me tendit un bol.

Je m’étonnais de cette soupe en plein mois de juin, elle me répondit que ses parents, ses grands-parents mangeaient de la soupe tous les soirs, été comme hiver. Alors elle perpétuait cette tradition. Du jambon, je ne m’en privai pas, je me suis régalé, elle avait été généreuse en tranche. Après un gratin dauphinois succulent elle accompagna la salade de son jardin de pélardons, des frais, des mi-durs et des biens faits. La tarte fut l’apothéose de ce repas. Si je reste trop longtemps chez cette brave Mado, je vais prendre des kilos, ai-je pensé, tout en me régalant du verre de Cognac qu’elle m’offrit.

Ma nuit de sommeil fut sans problème. Je me suis réveillé en pleine forme et le petit-déjeuner servi par mon hôte fut à la hauteur du souper de la veille. Les œufs de ses poules, à la coque, se laissèrent déguster, le pain était frais, pétri de ses mains et cuit dans son four à bois, les confitures sublimes, le miel, d’une apicultrice du coin, à la hauteur du reste.

- Monsieur Lanier, si je puis me permettre, vous pensez rester plusieurs jours ?

- Je l’ignore, mais en tout cas ce soir et certainement aussi demain. J’ai plusieurs personnes à rencontrer dans la commune pour essayer de cerner les mystères concernant ma nouvelle maison. D’après les documents dont je dispose, ma famille est installée ici depuis plusieurs générations, il me faut en savoir un peu plus.

- Notre ancien secrétaire de mairie a fait une multitude de recherches sur tout le pays et les querelles entre les uns et les autres. Il aura certainement beaucoup de choses à vous dire. L’ancien instituteur, Monsieur Sahuquet, aime bien toutes les histoires qui circulent dans le coin. Notre maire est à la tête de la commune depuis un quart de siècle, il en connaît aussi un rayon sur les histoires des uns et des autres. Il a hérité de cette lourde charge de son propre père qui fut maire pendant autant de temps. C’est une dynastie Cabrol de cinquante bonnes années, lui est communiste et le premier adjoint également, mais il rassemble tous ceux qui veulent bien gérer cette commune de montagne, ce n’est pas facile. Mon mari a été conseiller municipal très longtemps, il était plutôt socialiste dans ses idées, avec Dédé ils s’entendaient bien… Le cantonnier, Guy Daumet, sait beaucoup de choses. Il va de maison en maison pour aider ceux qui ont des problèmes pour les chemins. L’hiver il est chargé de déneiger les accès aux fermes isolées. Il s’occupe aussi des ordures ménagères et de tout ce que les gens veulent mettre à la décharge. Alors les petites cachotteries, il en connaît un tas. Vous savez, dans les greniers, il s’y cache beaucoup de souvenirs et bien des secrets. Si un jour lui prenait la fantaisie d’écrire un livre il en aurait à raconter.

Elle me dévisageait d’un regard bizarre, comme si elle me scrutait.

- Votre compagne se prénomme Huguette ?

- Non, je suis célibataire.

- Pourtant on me dit Huguette… Les informations me viennent sans que je les cherche. C’est une forme de don. Ne m’en veuillez pas si je vous dérange.

- Vous ne me dérangez pas… J’ai eu un amour de jeunesse, elle portait ce prénom, mais la vie nous a séparés. J’ignore où elle se trouve et ce qu’elle est devenue. Elle doit être mariée et mère de famille, depuis le temps.

- Pourtant, elle n’est pas loin… Bon ! Passons. On me dit aussi que cette maison renferme des mystères et que vous allez les mettre à jour… Faites attention, il y a beaucoup de jalousie dans ce village… Vous connaissez une Lisette ?

- Non, je n’en ai pas dans mes relations mais je sais que la femme de Léonce le bandit portait ce prénom. C’est la grand-mère de ma mamie. Mon notaire m’a fourni des détails sur ma généalogie.

- Il y a quelque chose de pas très net avec elle. Elle a été agressée ?

- Je l’ignore. Ma grand-mère ne m’a pas donné beaucoup d’informations, je ne sais pas si elle en a, d’ailleurs. Voilà pourquoi je viens à la pêche. Je voudrais connaître le sens des reproches fait à mon ancêtre. Était-il vraiment un bandit ?

- Comme pour tous les hommes mystérieux les gens lui ont attribué beaucoup de rumeurs, pas toujours exactes. La seule chose connue de tous c’est que pendant la première guerre mondiale, il a pris le maquis. C’est un déserteur. Il ne voulait pas risquer de tuer des inconnus qui ne lui avaient rien fait. Pour lui, le « Tu ne tueras point » était un commandement biblique primordial. Pendant la résistance il n’a jamais porté de fusil, ni la moindre arme, il s’occupait de ceux qui étaient dans le besoin, portait des courriers, il était le messager clandestin. Cet homme connaissait la montagne comme sa poche, il n’avait pas son pareil pour aller sans être vu. Il s’est caché durant toute la première guerre et a su utiliser ses compétences pendant la seconde. Il est le seul à savoir où se trouvent les cavernes, appelées aussi les baumes, pour certains. Les souterrains, dont beaucoup ignorent l’existence n’avaient pas de secrets pour lui… Tout le monde sait que les camisards, durant la guerre des religions, ont utilisé ces repères pour se dissimuler des dragons du roi. Dans certaines maisons il y a des tunnels dont l’entrée était soigneusement dissimulée, tout comme la sortie. Ainsi, au moment de la réforme, bon nombre de prédicants protestants recherchés ont pu fuir… Dans la cave de mon hôtel il y en a un qui descend jusqu’à la rivière, sous le château de Saint Pierre. Elie Guibal vous en parlera, il a retrouvé les plans. Quand vous voulez, je vous le montrerai. Ce n’est un secret pour personne. Il est verrouillé par une grosse grille afin d’éviter aux enfants un peu fouineurs d’aller s’y perdre.

Un jour mon fils a failli se rompre le cou avec un copain, ils disposaient seulement d’une bougie et elle s’est éteinte pendant leur escapade. Ils avaient tout juste huit ans et voulaient s’amuser. Mon mari, qui était encore vivant, leur a passé une bonne engueulade et le père du copain en a fait autant. Le maire est allé à l’école faire la leçon à tous les enfants. Le pasteur a fait la même chose du haut de la chaire le dimanche suivant et le curé y est allé de son couplet pendant la messe. Depuis cette aventure nous avons fixé une grille à l’entrée. La sortie, en bas sous le château, a été obstruée par un mur maçonné. Nous voulons éviter que des touristes s’aventurent et risquent de se faire mal. Tous ceux qui ont, chez eux, un souterrain de cette même époque, l’ont muré ou grillagé et n’en parlent pas. Malgré ses recherches, notre bon secrétaire de mairie n’a pas pu tous les recenser, il suppose que le nombre de dix est en dessous de la réalité, en ce qui concerne les communes de Saint André, Saint Germain, Saint Martin et Saint Étienne. Pour Moissac et Sainte Croix on ne sait rien, les gens n’ont pas voulu signaler ou confirmer ce que Elie avait trouvé dans des grimoires. Il vous les montrera certainement. Il en suppose une bonne trentaine sur les deux ou trois vallées des gardons. Il y en aurait même du côté de Saint Jean, vers Mialet dans le village de Trabuc.

- C’est intéressant, ce que vous me dites. Je savais que la guerre des religions a été sanglante dans ces montagnes, mais j’ignorais ce détail des souterrains.

- Demandez à Elie Guibal de vous parler de cette fameuse guerre, l’histoire en a fait une guerre des religions mais il semblerait que ce soit aussi, dans nos régions, une révolte paysanne. Posez-lui la question, il est intarissable sur ce sujet…

- Je n’y manquerai pas, cela m’intéresse.

- Il y a quelqu’un que vous pouvez contacter, c’est Marie Fabre, notre guérisseuse. Elle sait aussi beaucoup de choses. C’est comme chez le médecin, quand les gens se font soigner ils racontent leur vie, confient des secrets. Marie est une tombe, elle ne dit rien, mais sur votre maison elle doit en savoir, elle était très copine avec la femme de Léonce, Lisette, l’institutrice. Elle en a conjuré des brûlures, des entorses, des foulures, des lumbagos, dans presque toutes les fermes de nos vallées et dans les villages. Elle est une excellente herboriste. Les fleurs, les feuilles et les racines des plantes de la région n’ont pas de mystère pour elle. Je vous la recommande pour le moindre bobo.

Elle se leva, je lui confirmai ma présence pour le repas de midi.

- Vous aimez le poulet ?

- Oui, bien sûr.

- J’en ai tué un hier, il est tout frais. Vous le voulez en sauce ou rôti au four ? Je peux aussi vous le faire à la broche, avec des haricots du jardin.

- À la broche, ce sera très bien. Pour les légumes, je prends, sans hésitation, puisque c’est vous qui les avez cultivés.

 

Cette femme me plaisait. Son allusion à Huguette, mon amour de jeunesse me remua. Je croyais avoir classé cette histoire et voilà qu’elle me faisait remonter des souvenirs agréables et d’autres un peu plus douloureux, mais tout cela était bien loin de ma réalité actuelle. J’avais autre chose à penser. Affaire classée.

 

 

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